Les quatre sens de l'écriture

Introduction

    L'exégèse biblique déterminant la valeur universelle du sens des Ecritures Saintes dans l'histoire humaine a toujours fait débat. Jean BRECK déclarait :" Les textes bibliques ont souvent plus d'un sens"1. S'engager profondément dans la foi nécessite donc de connaître les différents degrés de lecture de la Sainte Ecriture. Dans son ouvrage "Exégèse médiévale" qui constitue une référence sur les différents sens de la Bible, Henri Lubac propose quatre niveaux de lecture. Lecture qui doit se faire  selon lui, dans un ordre ascensionnel et où les degrés ne sont pas cloisonnés mais imbriqués les  uns aux autres. Les origines des influences qu'ont pu générer ces différentes manières de lire la Bible suscitèrent des controverses. La première partie de mon analyse y sera consacré. La deuxième partie de cette réflexion s'efforcera de décrire chaque sens et montrer leur relation avec la vertu  théologale qui lui correspond.  


 

I Historique

L' herméneutique des sens attribués à l'écriture biblique suscita durant des siècles multiples controverses dans les milieux exégètes . L'un des débats portèrent sur les origines des différentes lectures possibles de la Bible. Savoir si cet héritage transmis provient du judaïsme au christianisme ou inversement posèrent question


I .1 Influences judaïques et grecques .

Selon l'avis de Phlios d'Alexandrie, Philon , un juif, converti grec, serait le précurseur du sens allégorique de la biblique adopté par le christianisme. Gershom Scholem de nationalités juive et allemande, auteur de la Kabbale et sa symbolique, soutient que le christianisme a influencé le judaïsme . Quoique il en soit, concernant a Torah attribue quatre niveaux de lecture aux Ecritures Saintes qui se déclinent comme suit

. Un sens dont la signification est évidente appelé sens allusif.

. Un sens allusif : manière d'éveiller l'idée du croyant sans faire mention expresse de la ce qu'on veut parler

. Un sens métaphorique dont l'acception vient du latin « métaphoros »1 qui signifie «  transport du sens propre au sens figuré » Il est connu aussi sous l'appellation de sens homilétique qui caractérise l'art oratoire , la manière de convaincre les foules.

. Un sens mystique qui a trait aux choses qui relèvent du secret ou du mystère. Il désigne les relations existantes avec un Dieu transcendant. Ce sens mystique ou secret relève de la Kabbale 2 chrétienne qui fut interdite au Moyen Age, considérée de science occulte ou ésotérique.


 

I.2 Les sens de l' écriture dans le christianisme

1.2.1 Du III ème jusqu'au Temps Modernes

Gershom Scholem de nationalités juive et allemande, auteur de la Kabbale et sa symbolique, soutient que le christianisme a influencé le judaïsme. Au III ème siècle. S'inspirant de la méthode d'interprétation juive utilisée par Saint Paul dans son épitre aux Galates, Origène définit trois sens à l'Ecriture de la Bible ( littéral, tropologique, spirituel). Dans une lettre adressée à Grégoire le Thaumaturge, se préparant à conduire une mission d' évangélisation, Origène lui conseilla d'appliquer cette herméneutique dans les prières. Herméneutique qui correspond aux trois constituants de l'être humain « Spirita, anima, corpus » de définition latine pour parler de la trichotonomie « corps, âme, esprit ».

Cette doctrine, reprise par le théologien, Augustin d'Hippone prit de l'essor au IVème siècle. Ces quatre sens connurent à partir de cette date et jusqu'au XIIIème siècle, diverses interprétations ou d'appréciations. Les Pères de l'Eglise, par exemple , pour ne citer qu'eux, définissaient l'allégorie et le tropologique comme très proches.

Puis les quatre sens ont été repris par des auteurs tels que Jérôme, Augustin d'Hippone, Hugues et Richard de Saint Victor, Bonnaventure , Thomas d'Aquin. Ce dernier, au lieu de se focaliser, sur les quatre sens , opta de monter la dualité entre la lettre et l'esprit

 

I.I. 2 Du temps Modernes à nos jours

L'usage personnel que fait Luther après une période allant de 1515 à 1516 fut abandonné. Au XVII éme siècle, ces quatre sens sont encore d'actualité. On en parlait peu entre le XIX et le XX ème siècle.

I.2 .3 Le XXème siècle, une période de renouveau

Dans Divino Affante Spiritu en 1943 insistant sur la théopneustie x autorise Pi XI la l'exégèse historico- critique de la Bible . En 1992, les quatre sens de l'écriture qui correspondent aux principes de la Lecture Divina inspira le Catéchisme de l'Eglise catholique. A la suite des recherches effectuées par Henri Lubac dans «  Exégèse médiévale », un regain d'intérêt se fait sentir chez les apologues des quatre sens de l'Ecriture. Le sens apparaît comme celui qu'on doit faire émerger dans la méthode historico- critique, le sens spirituel le message évangélique à faire passer, le sens tropologique ce que l'on doit faire, le sens anagogique vers quoi l'on doit se tendre.


 

II. Les quatre sens de l'Ecriture et leur relation des trois vertus théologales. 

 

                    II.1  Le sens littéral ou historique

 Dieu s'est manifesté aux hommes par sa Parole. Elle nous a été transmise par des auteurs qui  ont écrit la Bible sous l'inspiration de l'Esprit Saint." Fils d'hommes, porte- leur la Parole"2. Quatre sens donnent à la lecture de la Bible toute sa richesse spirituelle. Le premier est le sens historique. En effet, Dieu s'est révélé à un peuple choisi dans un lieu et à un moment précis de l'histoire. Cependant, Dieu n'a pas été qu'un évènement, à une époque déterminée dans la vie des hommes. Il a toujours été présent et reste actif dans notre propre histoire. Le sens historique s’appelle aussi  sens littéral. Selon Saint Thomas d'Aquin" Le sens est celui que l'auteur veut signifier" En effet, à ce stade² d'interprétation, le chrétien qui croit au mystère du Verbe Incarné, s’en tient à ce qu’il est écrit. Il fait confiance à l’auteur. C'est pourquoi sans contester les richesses apportées par la  méthode historique- critique sur le plan de la compréhension des écrits bibliques, les textes du magistère attirent l'attention sur les risques de déviances : affirmation du fondamentalisme ou  interprétation des textes dans une perspective d’éloignement de la tradition ou de la Foi. Dieu, étant lui-même un adepte de l'expression multiforme, doit être au cœur de la théologie. Le reconnaître et l'accepter constituent les préalables pour atteindre le sens spirituel.  

 

            II.2  Le sens allégorique

Le sens allégorique est la porte d'entrée vers l’affermissement de la Foi. En effet, suivre Dieu, c'est consentir à nous éloigner des perceptions immédiates, sensibles que nous renvoie une image ou un texte, pour nous laisser porter plus loin. En effet, l'allégorie en disant une chose nous convie à entendre autre chose. La bible regorge de nombreuses allégories. Dans le songe de Jacob3 l'échelle signifie le pont entre le Ciel et la terre. Dans la Nouvelle Alliance, cette interprétation prend origine dans les paroles du Christ selon l'Evangile4 de Jean. La descente et la montée des  anges représentent aussi cet échange entre le Ciel et la Terre. Mais ici, l'échelle assurant cette relation, c'est le Christ, à la fois Fils de Dieu et le Fils de l'Homme. Accéder à ce sens ne signifie pas simplement parcourir une histoire déjà vécue à une époque bien déterminée. Nous pénétrons dans l'intériorité des êtres. C'est cette propre transformation qui commande tout. C'est là que la dimension allégorique prend tout son sens. Nous faisons preuve d'empathie en essayant de comprendre ce que l'autre vit. Nous nous projetons dans son histoire en essayant de déceler des  similitudes avec notre propre expérience. Quand Abraham s’apprête à commettre l'irréparable en sacrifiant son fils, nous découvrons à quel point cet homme aime et craint Dieu. Seule l'adhésion inconditionnelle à la volonté de l’Eternel peut expliquer l'attitude de ce chrétien. Cette dévotion  au Seigneur s'appelle la Foi qui est la croyance et la confiance en la Révélation.  

 

                              II.3   Le sens tropologique

  Du grec "tropos" signifie " se tourner vers ", le sens tropologique est appelé aussi sens moral. Sans prétention d’être un discours moralisant, le sens tropologique se définit plutôt comme une connaissance spirituelle qui permet au croyant de rendre cohérentes ses actions, avec le projet divin. En effet, Dieu n'est pas moralisateur. Il nous indique constamment ce qui est préférable de faire sur terre pour obtenir le salut de notre âme. Il nous laisse toutefois le choix de notre libre arbitre. Nombreux textes bibliques rapportent cette insistance de Dieu à nous tourner vers notre prochain. L’enseignement de l’écriture poursuit le but de nourrir donc notre comportement mor al  en nous incitant à préférer le bien du le mal. La vie morale en ce sens ne peut se dissocier de la  charité. Le croyant, par ses choix moraux, s’oriente constamment vers l’amour de son prochain.  

 

                      II.4 Le sens anagogique

 Le sens anagogique est la quintessence des deux autres degrés de la lecture biblique. En effet le mot anagogie signifie élévation de l’âme vers le ciel. Sainte Thérèse d’Avila nous décrit si bien cet  état mystique d’union à Dieu dans son ouvrage” Le Château intérieur”. En effet, Madre indique  que la spiritualité atteint son paroxysme dès qu’on atteint la Septième Demeure. Ce mariage spirituel signifie que le croyant renonce à sa vie terrestre pour sceller son union avec Dieu. Accomplir parfaitement la volonté divine sous l’inspiration de l’Esprit Saint, mobilise tout son être. Dans une perspective de penser à l’avenir, ce sens revêt aussi une dimension eschatologique. En effet l’état d’union totale à Dieu n’atteindra son terme que dans la patrie céleste. Une attente  d’éternité qui se produira à la fin des temps5. Le sens anagogique ainsi édifie l’espérance. 

 

                     II. 5  le sens plénier

  La profondeur que Dieu a voulu donner à sa Parole constitue le sens plénier. Cela signifie que Dieu a inspiré tous les écrits bibliques. L’Ecriture, en effet, vient du grec “théo pneustos” qui veut  dire soufflée par Dieu. Des hommes ont parlé de la part de Dieu, mais aucune prophétie ne vient  d’eux. A l’échelle humaine, ce sens plénier a souvent généré des discussions, voire des conflits d’interprétation. Le point de désaccord entre anciens et exégètes provient du niveau de sens qui n’est pas le même pour chacun des deux courants de pensée. En effet, pour les Pères de l’Eglise la  compréhension des textes est au service du sens spirituel. Pour les exégètes, c’est le sens littéral qui  assure l’accessibilité au message de l’Ecriture. Or, il semble que l’approfondissement de la Parole de Dieu ne peut se passer de ces deux différentes formes d’interprétation. C’est ce que le Pape  Jean Paul II conseille en s’adressant aux évêques dans sa lettre encyclique Fides et ratio. Il précise, en effet, que la compréhension du message divin a besoin de l’effort conjugué de la Foi et la Raison. 


 

 3. Conclusion 

  Il est clair que la vie spirituelle ne peut se concevoir sans qu’on prenne conscience des diverses manières d’aborder la lecture des Ecritures Saintes. Les désaccords d’interprétation qui pourraient surgir ne doivent pas faire perdre de vue ce qui est primordial pour le croyant : sa confiance à la  Révélation du mystère de Pâques.

 

Date de dernière mise à jour : 18/11/2024

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