Commentaire du chapître 1 de la Règle de Saint Benoît

  Le rapport individu et communauté a, de tout temps, toujours constitué une problématique récurrente. En effet, d'un côté, cette volonté de l'être humain, de rechercher ses semblables pour partager des idées ou un projet commun. De l'autre côté, cette inclinaison de l’être de s'émanciper de toute règle, pour vivre un parcours  personnel. Ce sont ces deux modes de vie que Saint Benoît décrit dans le chapitre I  (verset 1 à 12) de sa Règle, intitulé" Catégorie des moines" : ceux qui vivent en communauté et ceux qui, par libre choix, ont décidé de suivre un itinéraire personnel  pour vivre leur relation avec Dieu. On ne peut donc s’empêcher de s’interroger sur la  nature du rapport existant entre vie communautaire et démarche personnelle dans cet  extrait de la Règle bénédictine. Est-elle antagoniste ou conciliable pour Saint Benoît ? Mon analyse consistera, dans un premier temps de montrer les dangers auxquels  s’exposent certaines catégories de moines, qui vivent hors de la communauté. Saint  Benoît condamne-t-il pour autant tous les moines qui choisissent de suivre Dieu, dans  une démarche personnelle ? Comment se positionne –t-il par rapport au choix érémétique ? Et pourquoi ? C’est ce à quoi, le deuxième et la troisième partie de mon  analyse tentera de répondre. 

 1.La vulnérabilité d’une catégorie de moines vivant hors de la communauté. 

 Au (verset 1 à 2), Saint Benoît, en utilisant l'expression " Il est manifeste ", exprime de manière lapidaire et sans ambages, l'existence de diverses formes de vie monastique. Tout en faisant preuve de modération et on reconnait là, sa discrétion, Saint Benoît  dénonce le comportement des sarabaïtes (verset 6 à 9). Il connait  bien la tradition et possède une expérience avérée de la vie monastique. Ce qui rend  les sarabaïtes détestables aux yeux de ce saint, c'est justement ce manque d'expérience qui est la conséquence d'une vie en absence de toute règle. Règle dont cette  métaphore de "l'or dans la fournaise" illustre la puissance. En effet ne devient pas moine qui veut. Ce statut, on ne peut l’acquérir, qu’au terme d'une lente et longue  maturation et de sacrifices consentis. Or, livrés à eux-mêmes, " sans pasteur", cette  catégorie de moines s’amollit " comme le plomb" car ils n'ont pas vécu les épreuves  d'une règle ; ils n'ont pas connu la rigueur d'une vie de discipline et d'ascèse. Leur  apparence trompe car les réalités de leur quotidien contredit de manière flagrante, leur pratique de "la tonsure¹." Les sarabaïtes se comportent comme des hédonistes². Sans scrupules, ils tirent profit des circonstances éloignées des commandements de Dieu. Saint Benoît se montre encore plus sévère à l’égard des gyrovagues (versets 10 à 11). Il leur reproche leur de manque de stabilité et leurs conduites indignes pour des moines. « Esclaves de leurs volontés propres », ils font ce qu’ils veulent, quand ils veulent, comme ils veulent. Ces dérives pourraient cependant survenir aussi dans la communauté. Saint Benoît en parle et interpelle les moines au début de sa Règle dans  le chapitre sur l’humilité3. 

 La communauté serait- elle pour autant le lieu unique pour les moines d’être en relation avec Dieu ? Pourquoi donc certains d’entre eux font-ils le choix de vivre les préceptes des Ecritures Saintes, à travers une démarche personnelle ? Quelle est la position de Saint Benoit envers les ermites ? Quelle place accorde –t-il à l’expression  individuelle dans la communauté ?

 2. Communauté et individu unis pour même objectif : servir Dieu. 

  Nous ne pouvons ignorer cette autre dimension de l’être humain qui est ce  besoin, de temps à autre, de se démarquer du collectif pour tenter une expérience  individuelle, de vivre quelque chose de nouveau. Pourquoi ? L’individu peut avoir cette sensation ou cette certitude que la communauté est un obstacle à l’expression  personnelle. D’autres, peut-être, tout simplement se convainquent qu’il faut franchir  une autre étape ou se projeter dans un nouvel idéal. De ce fait, la vocation personnelle leur semble, mieux que la communauté, comme le moyen de satisfaire ces nouvelles aspirations. L’exemple des anachorètes (verset 3 à 5) illustre bien ce désir d’émancipation, cette recherche d’intériorité en dehors de la communauté. La paix du  cœur est une condition indispensable pour bien entrer en dialogue d’amour avec Dieu. Le désir de silence reste indispensable pour vivre un contact intime avec le Christ. C’est ce que recherchent, sans doute, les ermites, qui, après avoir vécu en communauté, optent pour un itinéraire personnel. Sans approuver totalement ces choix, Saint Benoît  se montre plus compréhensif pour cette catégorie de moines. Au contraire, il éprouve  même une certaine considération pour ces ermites. Il le précise d’ailleurs en déclarant que “ Bien exercés, ils passent de cette armée fraternelle au combat solitaire du désert.”  Les termes utilisés, empruntés au langage militaire, montrent à quel point, que devenir moine ne relève pas de l’improvisation. Contre qui ces moines luttent- ils ? Le démon  est l’ennemi désigné. Et le combat contre Satan se fait collectivement. « Avec l’aide  des autres, ils ont appris à lutter contre l’esprit du mal » (verset 4). Forts de cet  apprentissage, les anachorètes possèdent désormais les capacités de lutter contre les tentations du péché. Aguerris, ils sont capables, de manière personnelle, de mener une  vie ascétique en se consacrant à la prière et à l’Eucharistie.  

  Cependant, pour Saint Benoît, la vocation érémétique n’est pas un itinéraire normal pour un moine. En s’émancipant de la vie en communauté, l’ermite marque une rupture dans son parcours spirituel. Dans toute vie collective, des conflits entre individus peuvent survenir, même dans les monastères. C’est inévitable. Ces moments  ne doivent pas affaiblir leur foi. Ils ne doivent pas servir de prétexte pour s’isoler, de  vivre en repli. Bien au contraire, ils constituent l’occasion pour le moine de pardonner,  de se surpasser. Par cette attitude, il prouve son attachement au Christ. Il “faut se taire” (verset 12) déclare Saint Benoît pour éviter de tomber dans la facilité de juger l’autre, au lieu d’être à son écoute. Cette conduite, cet épanouissement individuel du moine ne peuvent être que le fruit d’un apprentissage dans un système organisé. Elle ne peut s’acquérir qu’en présence d’autres frères.” La vie dans l’Esprit Saint n’est pas seulement la vie intérieure de l’âme individuelle. Nul d’entre nous n’est jamais totalement seul face à Dieu”4. Pour Saint  Benoît, donc, un cénobite doit rester cénobite. Il doit faire preuve de persévérance, jusqu’à la mort, et cela en “vivant sous une règle et sous un abbé”.

 3. La Règle, un incontournable de la vie cénobitique  

 En s’élevant contre certains moines dont les comportements indignes offensent la Parole de Dieu. Saint Benoît ne cache pas sa préférence pour les cénobites. Il se  démarque ainsi de Cassien, qui lui, opte pour les anachorètes Il ne dissimule pas non  plus son intention d’établir une Règle. Dans quel but la préconise- t-il ? Pourquoi fait il des cénobites les destinataires de cette Règle ? Saint Benoît, par le choix de cette catégorie, se trouve en parfaite cohérence avec la Tradition des Pères de l’Eglise qui veut que les premiers moines étaient des apôtres. Le cénobitisme, est donc un héritage de la tradition apostolique. Saint Jérôme traduit d’ailleurs "coenobitarum "  par " ceux qui vivent en communauté”. La communauté s’avère donc être le lieu où les  moines marchent, tous ensemble, sur les pas du Christ. Le monastère est une "école  où l'on serve le Seigneur” . La Règle devient donc la pierre d’angle de la vie cénobitique, sous l’autorité d’un l'abbé. Une Règle qui ne se résume pas uniquement  à un catalogue d’observances à des prescriptions. Elle constitue la voie pour la mise en œuvre du projet de Dieu. Un projet qui nécessite un effort commun ou aspiration  individuelle se conjugue avec esprit d’équipe pour mettre en pratique la Parole de  Dieu. L'individu se met au service des autres frères par le double commandement de  l’amour. En aimant son prochain, il aime aussi Dieu. 

Conclusion 

 S'extirper de la communauté pour satisfaire des désirs terrestres est éloigné de la  vérité de la Sainte Ecriture. C’est en se mettant au service de l'autre que le chrétien  ajoute une nouvelle compétence à la communauté, par son engagement. En collectivité, il s'épanouit spirituellement et personnellement en marchant ensemble, avec les autres, dans les pas du Christ. C'est dans cette sorte de “rapport gagnant/gagnant” que la communauté et individu deviennent conciliables. Cette bonne relation ne peut s’obtenir de manière anarchique. En effet l’entreprise moderne où s’appliquent des règles de management fonctionne comme le ceonobitarum, version Saint Benoît. Individu et communauté cohabitent de manière constructive pour se mettre au service de Dieu et de son prochain. La pensée bénédictine constitue ainsi  une bouffée d'oxygène vivifiante. Elle encourage, réconforte, donne de l'assurance à ceux dont l'appel de Dieu sonne fort dans leur coeur et dans leur tête. Elle est un témoignage d'espérance, un exemple de parcours spirituel que tout chrétien à la foi authentique, est convié à suivre.

 1  La tonsure est une pratique adoptée par certaines religions (hindouisme, judaïsme, christianisme, bouddhisme) consistant à raser une partie des cheveux. Signe de renonciation au monde, elle est aussi, avec la prise d' habit et le changement de nom, un élément d'un rituel de mort et de renaissance qui efface les péchés antérieurs. Signe visible de passage à l'état clérical dans le christianisme, la pratique y est tombée en désuétude ou est limitée à la coupe symbolique d'une mèche de cheveux ou deux.  Source Viképédia

2 Celui ou celle qui considére  le plaisir comme le but essentie de la vie

3 Chapitre 7 de la Régle bénidictine  

4 Frére Oliveto, vivons ensemble cloitrés, 2 avril 2020

                                                                                                               THEO  LOGOS   DE LA CROIX